Jad Ayache

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Je suis resté très attaché à mes racines libanaises et à ma famille restée là-bas. Comme beaucoup de libanais de ma génération, je garde le souvenir très vivace du temps d’avant la guerre comme une sorte de paradis perdu, une vie dorée que nous n’avions pas su apprécier, baignée de soleil et bercée par la musique de Fayrouz. Ces images m’ont beaucoup inspiré lorsque je me suis demandé ce que je pourrais bien avoir à dire dans mes chansons. En 1982, la guerre a franchi un cap irréversible, avec l’opération « paix en Galilée », le bombardement de Beyrouth, les massacres, puis le commencement de la période des enlèvements et enfin, la guerre de la montagne au terme de laquelle ma famille quittera définitivement notre région autrefois multiconfessionnelle, pour s’installer dans la zone exclusivement chrétienne du nord de Beyrouth. A partir de l’été 1981, je ne vais plus rentrer au Liban jusqu’en 1994.
En juillet 1987, je n’ai donc plus revu la Méditerranée depuis six ans. Je profite d’un séjour à Lyon avec des amis pour pousser jusqu’à la mer, qui commence à me manquer. Je prend seul le train pour Marseille. Dès que j’ai posé le pied sur le quai de la gare St Charles, la luminosité, le climat, les ambiances et jusqu’à la couleur des pierres m’ont évoqué des souvenirs familiers, pour citer Trenet. Je suis tombé immédiatement amoureux de cette ville. Irrésistiblement, je me suis retrouvé marseillais et j’ai su que j’y reviendrai toujours.
Aujourd’hui, j’habite le quartier de St Giniez, à deux pas du Stade Vélodrome où j’ai un abonnement dans le Virage Sud, comme Francis Lalanne !

Après mes études, j’ai habité dans le Vaucluse à la fin des années ’80. Un jour, dans un train allant d’Avignon à Montpellier, je m’assieds en face de… Christian Vander, dont j’aimais déjà énormément la musique. Nous nous parlons à cœur ouvert pour la première fois. Onze ans plus tard, je lui ai proposé de recueillir ses souvenirs de l’histoire de Magma et il m’a fait l’amitié d’accepter. Depuis, ces entretiens paraissent périodiquement dans le journal Muzïk Zeuhl.

Je n’ai jamais eu d’opportunité sérieuse de devenir musicien professionnel. J’exerce la profession d’informaticien depuis 1988. Même s’il m’arrive de regretter de ne pas pouvoir me consacrer entièrement à ma passion pour la musique, je ne peux que constater qu’il y a de moins en moins de travail pour les musiciens, fussent-ils bien plus talentueux que moi. Les artistes sont aujourd’hui astreints à de longues périodes d’inactivité. Je trouve cela injuste, et je ne sais pas si cela m’aurait beaucoup plu. Finalement, je n’ai pas trop de regrets, même si étant plus jeune je ne me destinais pas à travailler dans un bureau, et si j’ai pu penser, surtout à un moment de l’histoire de Xaal, que nous aurions mérité de « faire quelque chose ».
J’ai réalisé deux albums avec Xaal en 1991 et 1994, et deux autres avec Ad Vitam en 1997 et 2003. Je ne renie pas une seconde de cette discographie !
Aujourd'hui, ma pratique de la musique se limite essentiellement à l'entretien du répertoire d'Ad Vitam. J'ai abandonné le travail de la technique lorsque j'ai arrêté Xaal et j'ai rapidement perdu les muscles et la corne spécifiques des guitaristes. Dernièrement, durant les séances de « Morrisson In the Storm », je me suis retrouvé en quelques heures avec les doigts littéralement en charpie alors que Xaal faisait parfois des répétitions de six heures plusieurs jours d'affilée. Il faut toutefois bien reconnaître que je n'ai jamais été un technicien de tout premier ordre. Tant de martiens de la guitare sont apparus durant les deux dernières décennies que la barre est désormais placée très haut. Il faut plusieurs heures de pratique quotidienne pour sortir de la médiocrité. Cela nécessite une grande discipline et une régularité dans l'effort qui ne tolèrent pas le dilettantisme. J'ai abandonné toute ambition dans ce domaine ! Pour ce qui est du piano c'est encore pire. Il y a tellement de pianistes virtuoses et l'exigence est tellement élevée que je n'ai absolument jamais envisagé de devenir « un pianiste ». Tout au plus, le piano est devenu mon instrument quotidien de recherche musicale : je m'en sers pour travailler des rythmes et des couleurs harmoniques. 
J'ai toujours composé très lentement et très peu. Pourtant, Je continue à remplir des tiroirs de cassettes de thèmes en vrac, dont je ne me suis jamais servi. En réalité, je commence à travailler concrètement sur une composition dès lors que je possède l'image qu'elle m'évoque. Je considère qu'il est inutile de creuser si cette image n'est pas suffisamment ancrée en moi, s'il ne s'agit pas d'une véritable obsession. C'est bien évidemment totalement subjectif... Et cela n'arrive pas souvent, ne se commande pas, n'est pas forcément le fruit d'une recherche. Le travail intervient seulement en aval, pour tout remettre en ordre. Il peut s'agir d'un travail de titan, mais sans l'impulsion initiale, il me paraît totalement sans objet. Il faut donc rester à l'écoute, continuer à chercher. Je n'ai toujours pas renoncé !

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